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Ces aidants qu'on croit connaître

Ces aidants qu'on croit connaître

Tendance lourde des prochaines décennies : le recours massif aux aidants familiaux. Des proches qui se retrouvent à dispenser une aide quotidienne sans y avoir été formés ou préparés.

Qui sont ces aidants et comment résistent-ils quand l’aide devient une charge ?

Des parents âgés plus ou moins valides ou souffrant de maladies dégénératives, un enfant autiste, handicapé physique ou mental, un conjoint victime d’un AVC … Si certains le vivent déjà, tout le monde connaît dans son entourage au moins un cas d’accompagnement de personnes en situation de dépendance. Et la réalité démographique est implacable : dans 10 ans à peine nous serons tous des aidants actifs ou potentiels. Aujourd’hui déjà la France compte plus de 11 Millions d’aidants familiaux « ces personnes qui viennent en aide, de manière régulière et fréquente, à titre non professionnel, pour accomplir tout ou partie des actes et activités de la vie quotidienne » (art 51 de la loi de 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement).

« La majeure partie sont des femmes qui ont souvent sacrifié leur vie professionnelle pour s’occuper d’un proche et ont besoin qu’on leur donne une juste place » souligne Corinne Benzekri, Directrice du PRAC (Pôle Ressources Autonomie et Citoyenneté) de la Fondation Casip-Cojasor.

Mères, filles ou sœurs, plus rarement père, fils ou frères, conjoints : il y a toutes sortes d’aidants mais tous vivent au rythme de la maladie d’un être qui leur est cher. Certains ont les ressources pour positiver, d’autre sont moins résistants au stress, tous finissent par fatiguer sur la durée.

 

Poids du quotidien et droit au répit

 

« Quand une personne est en état de dépendance c’est toute la vie de la famille qui est impactée et quand il s’agit d’un enfant handicapé, physique ou mental, c’est la mère qui s’en occupe le plus souvent à temps plein en essayant d’impliquer le moins possible le reste de la fratrie, pour ne pas leur faire porter ce poids » témoigne Suzanne Attia, Assistante sociale au Pôl’Handicap du Casip-Cojasor. Le rapport est inversé quand il s’agit d’une mère ou d’un père dont il faut s’occuper. Mais la réalité quotidienne reste généralement la même : il faut aider l’enfant ou l’adulte à faire sa toilette, dans certains cas l’aider à manger, le surveiller ou l’occuper, l’emmener aux visites médicales, aux séances de rééducation, affronté la complexité administrative, tout en continuant à s’occuper du reste de la famille, faire les courses, pour certains continuer à travailler… « On se retrouve souvent face à des personnes épuisées par ce combat de tous les jours. Certains vivent parfois tellement dans la difficulté qu’ils en font une normalité, ils ne perçoivent même plus la réalité de leur quotidien » raconte Suzanne Attia : « notre rôle alors c’est de leur faire prendre conscience de leur état de santé, de la nécessité de prendre soin d’eux même et les aider à s’aménager des moments pour eux en organisant un relai professionnel ponctuel. »

 

Difficulté de lâcher-prise

 

Mais parfois la chose est plus facile à dire qu’à faire, et certains aidants ont beaucoup de mal à déléguer. Sarah Choukroun, psychologue clinicienne au Casip, en charge notamment de l’accompagnement des aidants décrypte cette difficulté à lâcher prise : « Elles veulent de l’aide mais restent dans le fantasme qu’elles sont seules capables de s’occuper correctement de leur proche, et se cachent derrière des phrases de déni comme ’’Il ne mange qu’avec moi’’ ».

La majorité des aidants n’imaginent pas non plus pouvoir partir quelques jours en vacance.

« Parfois on arrive à faire partir un enfant handicapé en structures spécialisée pour permettre à la famille de souffler, sinon on envoie la fratrie en colo pour les sortir d’un quotidien très lourd » explique Suzanne Attia. Et puis commencent à émerger des structures qui accueillent à la fois la personne handicapée et sa famille, ce qui est très nouveau et permet notamment de gérer la culpabilité des aidants, cette culpabilité qui leur interdit de prendre du répit et qui représente sans doute leur plus grande souffrance.

Sentiment de culpabilité et perte d’estime

 

La culpabilité est un puissant moteur qui peut pousser les aidants jusqu’à l’épuisement. Les mères d’enfants handicapés sont notamment celles qui la ressentent le plus. « Une fois une mère m’a dit ‘’j’ai raté mon enfant’’ ! C’est une parole très forte, très violente qui dit beaucoup de choses du désarroi de cette femme » témoigne Suzanne Attia : « D’autres sont dans le déni total, et pensent que leur enfant peut faire des études, se marier plus tard et ne sont pas prêtes à admettre que le niveau de handicap est très important ». Et quand une personne handicapée perd ses parents, la fratrie qui prend la relève se sent complètement perdue parce qu’ils n’ont jamais été associés aux soins et que les parents ont mis la barre si haut dans l’abnégation que peu de personnes peuvent suivre. Cela peut générer une autre culpabilité, de 2e génération.

« Il faut admettre que chacun apporte l’aide qu’il peut, ne pas juger ! » poursuit Suzanne Attia.

Lorsque ce sont des enfants qui s’occupent de leurs parents, ce sont souvent des filles qui ont parfois renoncé à fonder leur propre foyer ou qui n’hésitent pas à le mettre en danger : « on peut entendre des phrases sacrificielles du type :’’c’est ma mère, mon père, je lui dois bien ça ! ’’ » confirme Sarah Choukroun.

« Parfois certains aidants se retrouvent en charge de plusieurs personnes en même temps : un enfant handicapé, un parent âgé et un AVC du conjoint » témoigne Suzanne Attia. « Et là ils sont obligés de déléguer, sous peine de tomber malade eux même ». Les exemples se comptent par centaines, comme cette petite fille de 7 ans qui aide ses deux parents malvoyants, ou cette femme âgée qui s’est occupé toute sa vie de sa fille schizophrène et de son mari amputé des deux jambes. Des situations extrêmes qui mobilisent les professionnels, assistantes sociales ou psychologues, qui accompagnent des aidants, ces situations auxquelles s’attache à répondre le nouveau service Safirhs (cf. encadré). « Et même si nous ne ferons jamais aussi bien qu’eux, nous ferons différemment et cela permet au moins de les soulager » sourit Corine Benzekri.

Pour Sarah Choukroun « il faut d’abord les aider concrètement, pour avoir une chance d’accéder à leur souffrance psychique et les pousser à prendre soin d’eux-mêmes. Cela peut être long ».

Reste que la majorité des aidants sont en perte d’estime de soi : ils ont renoncé à travailler, à avoir à une vie sociale, voir même à s’offrir des petits plaisirs, un coiffeur, un massage, un après midi libre… « Autant de gestes qu’il faut leur permettre de retrouver » explique Corinne Benzekri qui souligne une étude récente (à confirmer) qui montre que l’espérance de vie des aidants est plus courte. Mais pour lever le pied, souvent le nerf de la guerre reste l’argent !

 

Coût financier et réalité économique

 

« Avoir un enfant en situation de handicap, il faut en avoir les moyens, et ceux qui ont de l’argent ne s’adressent pas aux services sociaux » constate Suzanne Attia qui met l’accent sur la difficulté de mettre en place un service d’aide lorsque les moyens financiers sont limités.

Ajouté à cela le fait que dans une famille l’un des parents (généralement la mère) renonce souvent à travailler pour s’occuper à plein temps de son enfant, ce qui fait un salaire en moins.

« Régulièrement des parents sont obligés de restreindre les activités de leur enfant au grès de leurs revenus, même si les résultats sont bénéfiques : résultat l’enfant régresse et on tourne en rond » explique-t-elle. Même problème chez les personnes âgées dont les retraites ne suffisent pas à couvrir les frais d’une assistance professionnelle complète.

Il est clair que les aidants fournissent un travail comparable à celui de professionnels de la santé, mais sans rémunération. Et aucune des subventions allouées (vieillesse, handicap…) ne couvrent plus de 20% des charges d’un aidant familial.

Aujourd’hui le statut des aidants va en s’améliorant.  Les pouvoirs publics et nombre d’entreprises réfléchissent aux moyens d’aménager le temps de travail des aidants, à salaire égal, pour amortir l’impact économique et sociétal. Les nouvelles générations d’aidants sont plus combatives : ils n’hésitent plus à secouer le landernau des administrations et à revendiquer des droits jusque-là passés sous silence.

Les mentalités évoluent également mais il faudra du temps pour que les aidants soient vraiment pris en compte et obtiennent une reconnaissance qui aujourd’hui leur fait encore défaut.